Dans notre précédente rubrique, nous nous sommes intéressés aux Seigneuries de Souvignargues et Saint-Etiennes d'Escattes. Nous allons tenter de découvrir la vie quotidienne des habitants, leurs moeurs, leurs coutumes et leurs conditions de vie et de travail.
Les années 1789-1792 amenèrent de grands bouleversements dans tous le pays qui aboutirent à la Bastille le 14 Juillet 1789 par une population excédée par les conditions de vie de plus en plus déplorables. Ces émeutes parisiennes déclenchèrent une onde de choc dans les campagnes. Les paysans s'armèrent à leur tour, incendièrent des châteaux, tuant souvent leurs propriétaires. Afin d'éviter que cette révolution paysanne appelée la "Grande Peur" ne se généralise dans tout le pays, l'abolition des privilèges fut votée par les nouveaux députés dans la nuit du 4 août. La déclaration des "Droits de l'Homme et du Citoyen" sera proclamée le 26 août. Le 14 Juillet devint alors en France, le symbole de la liberté.
Nous avons déjà vu en première partie que Saint-Etienne d’Escattes est traversée par plusieurs ruisseaux appelés aussi vallats qui fertilisent son terroir dont le plus important connu autrefois sous le nom de "la Bardouine", s’appelle aujourd’hui le vallat d’Ezort. Alimenté par le vallat du Labadel sur sa rive gauche et les vallats de la Bastide et de la Rompue sur sa rive droite, il se jette dans l’Aygalade (désigné sous le terme d’Aqua Lata dans le testament de Braidingus) peu après le carrefour des routes D22 et 107 qui vont, la première de Souvignargues à Montpezat et la seconde de Fontanès à Calvisson. Il draine les eaux pluviales des sommets environnants Puech des Cabanes, Puech Coucou et Puech Devès. Le Rhony draine les eaux des autres sommets. On trouve encore les vestiges de deux moulins « à bled » qui existaient et qui ont fonctionné jusqu’au milieu du XVIIIème siècle. D’ailleurs, sous l'Ancien Régime, les moulins étaient fort nombreux dans la région et même après la Révolution. Rien que sur le Vidourle on en dénombrait plus de soixante, sans compter ceux situés sur ses affluents. Déjà, le testament de Braidingus de 813, cite les moulins de Pondres, de Salinelles et d’Aspères. Il en existait plusieurs sortes : moulins à blé, à eau, à vent, à foulons pour les drapiers, à tan pour les teinturiers, à huile ainsi que pour le gruau. Certains étaient même utilisés comme scieries (moulin des « resses ») soit pour le bois, soit pour les pierres (bars).
Après la Révolution, le nombre de moulins avait considérablement augmenté pour atteindre son maximum en 1838 puis, il déclina peu à peu par la suite. Il y avait approximativement 1 moulin pour 355 habitants dans le Gard et 1 moulin pour 485 habitants dans l’Hérault. La diversité de ces moulins constituait ce que l’on appelait « la première révolution industrielle », mais il faut toutefois souligner que les moulins à eau t ne fonctionnaient bien souvent que deux ou trois mois dans l’année en fonction de la période des grosses pluies.
De la Gaule Romaine à la France d’aujourd’hui, la démographie du Languedoc a beaucoup varié, tantôt en diminution en raison des guerres et des épidémies, tantôt en augmentation. Sous l’Ancien Régime, la province du Languedoc était divisée en trois sénéchaussées : Beaucaire-Nîmes, Carcassonne et Toulouse ce qui correspondait à nos actuels départements de la Haute-Loire, de L’Ardèche, de la Lozère, du Gard, de l’Hérault, de l’Aude et de la Haute-Garonne dans leur totalité et d’une partie seulement du Gers et de l’Ariège. Cela représentait environ une superficie de 50.000 km², soit une densité de 30 habitants au Km². Il faut noter que le Roussillon et la ville de Montpellier ne faisaient pas encore partie du royaume de France.
Le dénombrement de 1384 nous signale que la densité au Km² était tombée à 3 habitants seulement. Les épidémies de peste, les guerres dont nous avons déjà parlé, jouèrent un grand rôle dans la diminution des populations. Il faut savoir également, que ces dénombrements étaient surtout effectués à des fins de taxation fiscale et que seuls les habitants possédant dix livres, non pas de revenu mais de capital, étaient dénombrés éliminant ainsi une partie très importante de la population. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que certaines communes minoraient le nombre de ses habitants pour échapper aux taxes.
En 1794, Souvignargues comptait 400 habitants et Saint-Etienne d’Escattes 90. Après avoir absorbé Saint-Etienne d’Escattes, Souvignargues atteignit 699 habitants en 1860. Au dernier recensement de 1990, sa population était de 525 habitants pour atteindre en 2013 le nombre de 840 habitants[1] .
la population était paysanne à 90 %, comme d’ailleurs partout en France et même en Europe, composée de petits exploitants qui étaient fermiers ou « rantiers »[2] pour la plupart des seigneurs ou communautés du lieu, mais qui possédaient également quelques biens à eux : cheptel ou matériel personnel. Le terroir de notre région était très morcelé en parcelles de petites dimensions et les deux tiers des familles ne possédaient qu’une parcelle ou deux de terre ou de vignes. Rares étaient les familles qui possédaient plusieurs parcelles, soit au maximum une dizaine d’hectares car il était difficile à un seul homme d’exploiter plus de deux hectares de vigne tant cette culture était exigeante en travail. Il existait également des propriétés « allodiale »[3]. Cette propriété complète et totale était exempte de toute redevance et de tout lien de subordination envers seigneur, communauté et roi lui-même, sauf l’hommage.
Dans les terres labourables, on cultivait du blé, du seigle, du sarrasin ou un mélange de ces céréales appelé méteil. Il servait de base à la fabrication d’un pain plus ou moins blanc et d’une farine qui représentaient à eux deux l’essentiel de la nourriture de l’époque. Contrairement au nord de la France où les terres labourables étaient cultivées sur le mode triennal, notre région pratiquait le mode biennal en laissant les terres en jachères une année sur deux. Ce procédé permettait l’élevage de bétail qui a été, après la culture des céréales, l’activité la plus importante pratiquée dans notre région pendant très longtemps. Quant à l’olivier, il était déjà exploité depuis l’époque romaine dans certaines localités car il apportait à la population une bonne partie des matières grasses dont elle avait besoin dans l’alimentation quotidienne et servait également pour faire brûler les lumignons des églises et chapelles. Toutefois, Souvignargues ne semble pas avoir eu une grande superficie de son terroir consacrée aux oliviers qui étaient plantés de préférence sur les coteaux et les plateaux.
C’était surtout la démographie qui commandait les cultures. Quand les populations augmentaient les paysans cultivaient surtout des céréales qui constituaient la base de la nourriture. Dès 1730, la progression légère de la population reprenait et poursuivait une courbe ascendante que même les deux guerres mondiales du XXème siècle ne ralentirent que modérément. Aussi, les terres pauvres ou abandonnées étaient remises en culture et l’on arrachait même des oliviers ou des arbres en forêt pour récupérer des terres à labourer. On appelait ces terres les « Rompudes » ou « Rompues », terme qui existe encore de nos jours. Les « Hostes » étaient des travailleurs itinérants qui effectuaient les travaux d’essartage à forfait et dans un délai déterminé. La culture de la vigne exigeait beaucoup de main d’œuvre depuis sa plantation jusqu’à la récolte. Le vigneron préparait lui-même les plants avec des boutures formées d’un sarment de l’année ou avec un morceau de vieux bois de l’année précédente. Tous les autres travaux se faisaient « à bras ». On taillait à l’aide d’une petite serpette (le sécateur ne fit son apparition qu’à la fin du XIXème siècle). La fumure était mise seulement au moment de la plantation (fumier de cheval ou de chèvre), et il fallait procéder à trois labours : au mois de mars c’était un labour profond fait avec une pioche ou houe à deux dents dans les terrains pierreux, un second labour plus superficiel au moment de la floraison et enfin un troisième labour à la mi-juillet afin d’enlever les mauvaises herbes. Toutefois, la culture de la vigne stagna pendant longtemps en Languedoc car les vignerons se heurtaient au transport des vins en raison du mauvais état des routes qui entrainait souvent l’éclatement des tonneaux et la médiocre qualité des vins due aux ramassages précoces des raisins. Les vins devaient donc être consommés rapidement sur place ou dans un périmètre très restreint. Ce n’est qu’après la création du port de Sète en 1666 suivie de l’ouverture du « canal des deux mers » (Canal de Riquet) en 1682 et l’arrivée du chemin de fer facilitant ainsi le transport des vins et alcools que la vigne pourra se développer et connaîtra même des périodes de surproduction.
[1] Cf tableau d’évolution de la population de Souvignargues sur le site : https://fr.wikipedia.org/wiki/Souvignargues
[2] Rante = bien affermé
[3] Les alleux sont définis comme un domaine en pleine propriété, libre de toute redevance, le plus souvent hérité. Il existe des alleux ecclésiastiques (l’Église fait sortir de la hiérarchie féodale des terres) et des alleux laïcs.
L’élevage du mouton et de quelques chèvres fournissait aux habitants de la laine, du cuir pour leurs vêtements, mais était aussi indispensable pour leur nourriture par l’apport de viandes, de fromages et de lait. Le fumier de bergerie constituait le seul engrais utilisé pour enrichir la terre.
Si en 1831 quatorze troupeaux de 25 à 150 bêtes, soit environ 1100 têtes de bétail étaient dénombrés, seuls treize troupeaux de 5 à 80 têtes représentant environ 500 têtes de bétail furent dénombrés en 1850.
Entre 1840 et 1960, divers arrêtés municipaux furent pris concernant cet élevage : Augmentation de la taxe sur les bêtes de laine, inventaire des pâturages en 1849, arrêté pour rentrer les troupeaux en 1927, décisions concernant les maladies du claveau en 1853, 1841, 1844 et 1845, fièvre de malte en 1951.
L'élevage du porc jouait également une grand rôle dans l'apport de viande et de matières grasses dans l'alimentation, jusqu'au XXème siècle.